P.SRAFFA.
L’ aboutissement du système de production: Piero Sraffa.
1- Généralités
2- La construction de l’étalon,
3- L’équivalence entre étalonnage et relation salaire- profit
1- Généralités : un néo- ricardianisme avec Sraffa (1960) ?
Piero Sraffa en collaboration avec Maurice Dobb, a réédité l’œuvre de Ricardo de 1951 à 1973 sous la forme de quinze volumes publiés par Cambridge University Press de 1951 à 1973. Déjà les commentaires et la présentation de Sraffa laissent présager l’avènement en 1960 ,d’une œuvre néo- ricardienne majeure , « Production des marchandises par des marchandises » .
Ce néo- ricardianisme , en radicalisant le cadre originel, apporte la solution au problème posé par Ricardo: peut- on trouver un étalon des valeurs, à la fois invariable par rapport aux prix et aux variations de la répartition ? La radicalisation dans l’interprétation de l' »Essai sur les Profits » est déjà très nette. Sraffa s’en tient essentiellement au Tableau de l' »Essai » et à une interprétation mécanique du principe de péréquation des taux de profit.
Le « principe fondamental » selon lequel les profits du fermier déterminent les profits de toutes les autres activités (Principe de la Lettre de Trower en 1814) trouve son fondement rationnel dans l’expression purement physique du taux de profit (cf. le Tableau de l' »Essai » de 1815). La péréquation automatique des taux de profit constitue un « lien mécanique » entre la particularité du secteur agricole et le fonctionnement général du taux de profit.
A ce stade, selon Sraffa ( note sur l' »Essai sur les Profits », W.C.R. vol.IV, p.3), la théorie ricardienne est « entièrement constituée ».
L’intervention des prix est exclue, et cette exclusion donnera lieu à une très grande critique par Hollander (1983) de la thèse d’un « taux matériel de profit » dans l’analyse ricardienne.
– Sraffa donne une solution au problème de la valeur et de la répartition ; que Ricardo se pose jusqu’ au manuscrit de « valeur absolue, valeur d’échange ». Pour ce faire, il utilise le procédé tautologique d’un système de production des marchandises par des marchandes, réduit et proportionnel par rapport au au système de production à étudier.
Ce procédé tautologique souligne l’influence de la logique déductive , en particulier de Wittgenstein sur Sraffa. Mais cette proportionnalité ne résout pas l’ « effet Ricardo » (cf. supra) à savoir les conséquences d’une augmentation des salaires sur les prix, compte tenu de l’inégale composition du capital ( travail /machines ) utilisé dans les différentes branches.
Selon Sraffa (1960), » la clef du mouvement relatif des prix relatifs, consécutifs à un changement dans le niveau des salaires tient à l’inégalité des proportions dans lesquelles le travail et les moyens de production sont employés dans les différentes branches ».
La solution extrême à ce problème consiste à poser un taux de profit maximum R au sein d’une relation r = R ( 1 – w) et ainsi à envisager l’absence de problème de répartition avec w = 0.
La méthode de Sraffa implique l’abandon d’un cycle des avances, en particulier d’avances en salaires. En effet, une avance dans le système de production considéré serait incompatible avec l’idée que ce système puisse être invariable par rapport aux variations de la répartition.
– Une solution logique est – elle compatible avec la dynamique ricardienne ? Si Ricardo fut critiqué pour son abus de la « méthode abstraite et déductive », sa méthode reste dynamique et fondée sur des forces externes.
Or un système logique est à la fois fermé ( sans force extérieure) et atemporel. La rente par exemple qui témoigne à la fois de préjugés agronomiques externes et d’une poussée de la demande ne peut jouer dans un système logique qu’un rôle accessoire. D’où dans l’ouvrage de Sraffa (1960), un chapitre bref et controversé sur la terre.
Et pourtant » une croissance graduelle de la demande qui entraîne, en définitive, une augmentation des coûts de production » ( index de Ricardo, PEP,p.454) représente une des causes incontournables du haut prix des vivres.
L’intérêt de la méthode tautologique est d’aboutir à des équivalences à la manière de Sraffa (1960) et de Debreu (1966). Dans les deux cas,la démonstration principale a trait à un théorème d’existence: existence d’un équilibre général de marché dans une économie de propriété privée chez Debreu, la distribution des ressources étant spécifiée, existence d’un étalon des valeurs chez Sraffa dont on peut spécifier la composition.
Ce théorème d’existence joue un rôle intermédiaire. Il autorise à des équivalences qui permettent de s’en débarrasser par la suite. Ainsi, il est possible dans la théorie de Debreu d’analyser directement l’optimum et l’équilibre de marché qui lui correspond en abandonnant les contraintes et les spécifications de l’économie de propriété privée.
De même chez Sraffa, la spécification de l’étalon peut être abandonnée. Le salaire n’est plus qu’un pur nombre (de même que le prix dans la théorie de Debreu) et l’on peut raisonner directement sur une quantité de travail. « Une quantité de travail qu’on peut acheter avec le produit net étalon » « sans qu’il soit besoin de définir sa composition ». La déduction sur la théorie ricardienne de la valeur aboutit à une retour à la théorie smithienne du travail commandé.
Ricardo ne s’exprimant pas sur sa méthode, ses choix méthodologiques ont alimenté de nombreuses controverses à caractère récurrent, chacun trouvant dans cette œuvre fondatrice les prémisses de sa propre méthode. Sraffa lui même estime que l’idée de la marchandise homothétique, « méthode imaginée par Ricardo » (Sraffa, 1960, Appendice D) a peut être pris corps après qu’il ait mis au point le système étalon et la distinction entre produits fondamentaux et non fondamentaux. Il en est de même pour l’étalon de valeur comme moyenne entre deux extrêmes.
Sraffa a radicalisé la logique ricardienne quitte à exclure certains traits caractéristiques des choix ricardiens. Mais peut on exclure si facilement la dynamique ricardienne ( Baumol, Hicks) ou encore l’influence des prix ( Hollander) pour ne retenir qu’une analyse statique de la valeur et de la répartition ?Sraffa montre que l’obtention d’un étalon de la valeur des marchandises qui soit invariable par rapport à la valeur des autres marchandises et à la répartition, est en contradiction avec un certain nombre de choix, en particulier les avances en salaires ou une dynamique des prix.
Nous nous limiterons à deux propositions centrales du modèle de Sraffa, la construction de l’étalon et l’équivalence entre l’étalonnage et la relation salaire/profit ; cette dernière proposition aboutissant au dépouillement de l’étalon construit initialement.
2- La construction de l’étalon
Sraffa propose une analyse tautologique du même ( le système) par le même ( un réduit proportionnel de ce même système). De ce fait, il rompt avec les analyses séquentielles de la valeur-répartiton et notamment avec la recherche de solutions exogènes.
Le système de départ est un système viable (SEV) obéissant à certaines conditions : techniques ( le système au moins s’autoreproduit et ne peut être déficitaire) ,économiques ( la péréquation des taux de profit), temporelles ( fixité des conditions de production), systémiques ( les marchandises sont » fondamentales » car elles servent à en produire d’autres ; les salaires ne sont pas avancés).
Ce système dit » actual economic system » selon Sraffa est bâti sur trois notions économiques conventionnelles : les marchandises, les salaires ,et le profit ou taux de surplus.
Suivant la notation de Sraffa, nous désignons par A,B,..,K, les quantités produites au cours de la période des marchandises a,b,..,k.
Aa, Ba,…, Ka les quantités utilisées des marchandises a,b,..k, afin de produire la marchandises a.
Ab,Bb,..Kb, les quantités de marchandises a,b,..k, afin de produire la marchandise b et ainsi de suite.
le taux de surplus, r, ou taux de profit.
La,Lb,…Lk les quantités de travail utilisées dans les branches produisant a,b,..,k.
Le taux de salaire : w
La production de la marchandise A peut être représentée avec des intrants de marchandises a,b,c, de la façon suivante ;
( Aa + Ba + Ca ) ( 1 + r) + Law = A
De même pour les branches Bet C.
Les marchandises sont utilisées dans certaines proportions les unes par rapport aux autres : proportions déterminées les unes par les conditions de production, invariables au cours de la période étudiée. Ces proportions physiques (ex. 15 quintaux de blé pour une tonne de fer) représentent des valeurs d’échange ou encore des prix relatifs. Désignons par pa, la valeur d’échange de la marchandise a, pb la valeur d’échange de la marchandise b, et ainsi de suite.
Un système de production se présente selon le modèle suivant :
(Aapa + Bapb + … + Ka pk) ( 1 + r ) + Law = Apa
(Abpa + Bbpb + … + Kbpk) (1 + r) + Lbw = Bpb
……………………………………………………….
(Akpa + Bkpb + … + Kkpk) ( 1 + r) + Lkw = Kpk
A chaque système de production est associé un produit net ou un revenu, obtenu en retranchant de chaque produit brut, A, B, C,.., K, les quantités consommées de la même marchandise.
Soit en posant que le produit net du système est égal à 1 :
A – (Aa + Ab + .. Ak) pa + B – ( Ba + Bb +… Bk) pb + …= K – ( Ka + Kb + … Kk) pk = 1
Etant donné la condition technique d’autoreproduction, il existe ainsi k+ 1 équations et k + 2 inconnues ( k prix, w et r).
Le système de production sera déterminé si on donne une inconnue, par exemple le taux de profit.
De ce système économique viable, on peut déduire un système étalon ( des salaires et des prix) qui soit invariable par rapport aux variations de la répartition et aux variations induites des prix relatifs.
Le problème des variations de la répartition est esquivé en considérant un taux de surplus maximum tel que les salaires sont nuls ;
Soit R = produit net/ moyens de production = r et w = O
Ainsi l’ » effet Ricardo » peut être éliminé ; Selon cet effet ( cf. le cours supra), les changements du taux de salaire, du fait des différents proportions existant entre travail et moyens de production correspondant aux différentes branches, ont des effets aléatoire sur les prix.
L’invariabilité par rapport aux variations induites de prix est obtenue simplement en construisant un système tel que les différentes marchandises apparaissent dans les mêmes proportions du côté des intrants et du côté des extrants.
Le système étalon est obtenu en appliquant aux équations du système économique viable, de multiplicateurs appropriés ; on déduit un produit net étalon et un rapport étalon R comme rapport du produit net étalon aux moyens de production. Ce produit net est une marchandise composite et » équilibrée » ; elle est un étalon de mesure des salaires et des prix qui demeure invariable par rapport aux modifications de la répartition et aux variations induites de prix. Son prix est égal à l’unité.
S’il existe un rapport R, rapport étalon ou taux maximum des profits, il existe une relation linéaire entre taux de salaire et taux de profit. En effet, on peut supposer que w est la part du produit net étalon ( égal à 1) qui va aux salaires de telle sorte que :
1 – w = profit/ produit net étalon.
1 – w = r . prix des moyens de production/ prix du produit net étalon.
1 – w = r . 1 / R et donc r = R ( 1 – w) ; il existe ainsi au sein du système étalon, une relation linéaire entre les salaires ( comme % du produit net) et le taux de profit.
Selon Sraffa ( IV, 30) : » ainsi à mesure que le salaire est progressivement réduit de 1 à 0, le taux de profit augmente en proportion directe de la déduction faite du salaire »
Cette relation peut être représentée par une droite de la façon suivante :
Du fait de cette relation, si l’on connaît le niveau du taux de profit ( donné par exemple par le niveau du taux d’intérêt monétaire), on peut déterminer le niveau du salaire (en tant que % du produit net) et la quantité de travail correspondante. Le résultat final de cette chaîne de déductions est paradoxal : » ainsi toutes les propriétés d’un étalon invariable des valeurs se trouvent dans une quantité variable de travail « .
Sraffa invite à ce raccourci en soulignant que » le système étalon est une construction purement auxiliaire » et que l’on peut présenter les éléments essentiels du mécanisme » sans avoir recours à lui.
Certes, pour connaître la mesure en travail, il est nécessaire de connaître w en tant que fraction du produit net étalon, compte tenu du taux de profit. Néanmoins, selon Sraffa, il est possible de considérer w comme fraction du de R, comme un » pur nombre » permettant de connaître la quantité de travail qui peut être achetée avec le produit net étalon. Cette mesure en travail permet d’exprimer le prix des marchandises. Réciproquement, le prix de cette quantité de travail, peut être exprimée par rapport au prix de n’importe quelle marchandise du système.
On constate ainsi le rôle auxiliaire du système étalon et le résultat du processus déductif, la relation entre le système économique viable et la quantité de travail.
3- L’équivalence entre étalonnage et la relation salaire- profit.
Initialement , l’étalonnage est posé en admettant un taux maximum de profit R et donc w = 0. Une fois le système étalon admis, Sraffa étudie la relation entre les variations du salaire en % du produit net étalon ( 0 < w < 1) et le taux de profit ( 0