Jacques Rueff

Jacques RUEFF intègre l’école polytechnique en 1916. II part alors sur le front comme officier d’artillerie. La guerre le sort du cocon familial. Il y fait montre d’un certain courage physique et d’une réelle capacité de commandement.

Après cette période, dont il dira conserver un souvenir intense durant toute sa vie, il accomplit sa scolarité à Polytechnique, où il devient un élève assidu et admiratif de Clément COLSON, polytechnicien et économiste qui enseigne la nécessité d’adopter en économie une méthode de raisonnement inspirée de la physique. De ces cours, Rueff retiendra en particulier l’importance de la statistique et de l’économétrie, alors naissante, pour valider les théories économiques.

Il s’affiche comme un ennemi résolu de Keynes, dont le succès dans l’immédiat après-guerre l’avait relégué, lui, dans l’oubli.

Féru de problèmes monétaires, il passe le concours de l’inspection des finances. II concilie dès lors son goût pour la réflexion avec son métier de haut fonctionnaire.

Son premier texte marquant en économie est un article de 1925 sur le chômage. On y voit ce qui sera dans toute son oeuvre sa méthode d’analyse. S’appuyant sur la théorie libérale, il y reprend l’idée assez classique que le chômage est dû à un coût excessif du travail. Mais il ne se contente pas d’évoquer les travaux des grands économistes du XIXème siècle.

II consolide son raisonnement par une vérification expérimentale qui, en l’occurrence, est une analyse statistique de la situation de l’emploi en Grande-Bretagne de 1920 à 1925. Le lien formel et mathématisé entre le niveau de chômage et le niveau de salaire réel sera dès lors appelé « loi de Rueff « tant par ses partisans que par ses adversaires, même si ceux-ci, comme Keynes, le font avec une pointe de condescendance.

Cette méthode, visant à donner à l’économie une démarche scientifique fondée sur la quantification et la technique expérimentale, Rueff s’en fait le théoricien dans son ouvrage le plus abouti, qui paraît en 1945 sous le titre L’Ordre social, livre où il manie avec brio l’économie, la philosophie et l’histoire des sciences. Avec le temps, il se concentre sur la monnaie.

Pour lui, l’élément central d’une économie développée est son système de prix. Tout ce qui le perturbe lui nuit. Or deux choses empêchent l’émergence d’un système de prix stable et efficace :l’absence de concurrence et l’inflation.

La politique économique doit les combattre, c’est-à-dire, d’une part, éviter les situations de monopole, qui confèrent à certains au détriment du reste de la collectivité un pouvoir sur la fixation des prix ; d’autre part, trouver un mode de gestion qui contraigne l’autorité monétaire et lui interdise toute forme d’arbitraire dans la création de monnaie.

Ce mode de gestion monétaire existe, c’est le mécanisme de « l’étalon-or « . Dans ce système, la contrainte qui pèse sur la politique monétaire passe par la balance des paiements courants. Un pays frappé d’inflation perd de la compétitivité sur le marché mondial, voit ses exportations diminuer et connaît rapidement un déficit extérieur.

II solde ce déficit en perdant une partie de son stock d’or, et donc de sa masse monétaire. La désinflation – ou même la déflation – qui suit cette contraction de la masse monétaire le rend plus compétitif, lui permettant d’exporter plus, et de retrouver ainsi son équilibre.

Cette approche inspire à Rueff tout au long de sa vie ses réactions aux événements du moment : en 1919, il soutient que l’Allemagne peut payer les réparations. La baisse de son stock d’or débouchera sur une baisse de ses prix, ce qui favorisera ses exportations.

La dynamique exportatrice ainsi créée outre-Rhin y suscitera une forte croissance économique, profitable en fin de compte à l’Allemagne comme à ses vainqueurs.

Conseiller économique du général de Gaulle en 1958, il rendit, avec Louis ARMAND, un rapport qui préconisait de lever les barrières douanières et toutes les entraves à la libre concurrence.

En 1960, il préconise le passage du franc au nouveau franc, six cents ans après la naissance du franc.

En 1965, tandis que les États-Unis d’Amérique paient leur déficit extérieur en fournissant des dollars à leurs créanciers à la place de l’or, il dénonce un système qui s’éloigne des automatismes de l’étalon-or et, augmentant fortement le volume des dollars en circulation dans le monde, ne peut créer que de l’inflation.

C’est lui qui poussera le général De Gaulle à demander la conversion des dollars détenus par la France en or. Il inspirera aussi le général De Gaulle pour obtenir des Américains un retour à un système monétaire international centré sur l’or, et non sur le dollar. Lorsqu’il meurt, en 1978, l’or a disparu du système monétaire international depuis deux ans, l’inflation fait rage et le déficit extérieur américain prend des dimensions abyssales.

Mais, dix ans plus tard, la désinflation compétitive est devenue le fondement de la politique économique de la droite comme de la gauche, dans une logique pleinement rueffienne même si l’instrument de cette logique a cessé d’être l’or.

Il s’est élevé, pendant les années 30, contre l’allocation chômage qu’il accusait de favoriser l’arbitrage des travailleurs en faveur de l’oisiveté. On retrouve aujourd’hui encore ce raisonnement contre les minima sociaux et la couverture médicale universelle.



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