Le projet de Joseph Schumpeter consiste à comprendre
la nature du système capitaliste et sa dynamique. Il propose
une construction théorique qui ouvre la voie à une conceptualisation
de la croissance, qui déborde certes le système néoclassique,
mais le retient comme fondement. A sa formation marginaliste, l'auteur
joint une compréhension approfondie des analyses de l'école
historique et du marxisme.
L'auteur part de l'image du "circuit économique",
terme par lequel il désigne une économie fonctionnant
dans des conditions inchangées de période en période,
et d'où toute idée de profit serait exclue. Le développement
s'oppose au circuit en ce qu'il suppose non seulement une croissance
quantitative, mais également un changement qualitatif des biens
et des techniques. Le moteur de l'évolution est l'innovation,
que l'entrepreneur met en oeuvre par le moyen du crédit (réalisation
de combinaisons productives nouvelles).
L'innovation n'est pas ici assimilée à
l'augmentation du savoir relatif aux techniques praticables, mais recouvre
un contenu à la fois plus étroit et plus large. Ainsi,
cinq catégories d'innovations peuvent être distinguées
:
- La fabrication d'un produit nouveau.
- L'introduction d'une méthode de production
nouvelle.
- L'ouverture d'un nouveau débouché.
- La conquête d'une nouvelle source de matières
premières.
- La mise en oeuvre d'une nouvelle méthode
d'organisation de la production.
Le point commun à ces
cinq modalités réside dans leur caractère qualitatif,
qui justifie le cheminement discontinu de l'innovation ("grappes
d'innovations"). Contrairement à l'entrepreneur walrassien,
l'entrepreneur de Schumpeter réalise un profit, rémunération
de la fonction d'innovation qu'autorise le monopole temporaire que lui
confère la combinaison nouvelle. Cependant, la concentration
du capital tend à bureaucratiser l'innovation et à priver
la fonction d'entreprise de sa justification la plus profonde, ce qui
peut mettre en cause la survie du capitalisme ("Capitalisme, socialisme
et démocratie", 1944).
De la croissance capitaliste, il est donné l'image
d'un processus permanent d'une "destruction- créatrice",
avec la disparition des anciennes combinaisons productives et l'introduction
de nouvelles. Par la suite, le préfinancement de l'innovation
par le crédit introduit dans l'économie un pouvoir d'achat
suffisant pour l'écoulement de la production et la réalisation
de profit par l'innovateur. Ainsi, l'impérialisme lui paraît-il
plutôt découler de la permanence de relations de puissance
que d'une exigence de débouchés additionnels spécifiques
au capitalisme.
Schumpeter trouve, dans la discontinuité de
l'innovation, une clé pour l'articulation des analyses de croissance
et des fluctuations. Chaque cycle correspondrait à la réalisation
d'une "vague" d'innovations, l'expansion étant la période
où le recours au crédit finance la nouvelle combinaison.(Phase
ascendante d'un cycle de type Kondratief). Au cours du boom, l'inflation
donne l'illusion passagère d'une coexistence possible des combinaisons
nouvelles et anciennes, mais la crise vient révéler la
nécessaire élimination des combinaisons anciennes que
réalise la phase de dépression. Les conditions sont alors
réunies pour une nouvelle grappe d'innovations.
D'après un article de P.Y.Hénin.