Réformer l’entreprise pour sortir
de la crise !
L’entreprise est devenue aujourd’hui, à travers
le C.I.C.E. (Crédit d’Impôt pour la Compétitivité
et l’Emploi) ou encore à travers le pacte de responsabilité
et la recherche d’un nouveau dialogue social, la cible des
politiques économiques conjoncturelles gouvernementales fondées
sur l’offre.
Elle est considérée désormais comme l’acteur
économique principal pouvant sortir notre économie
de la crise de l’emploi et de la faible croissance. L’enjeu
est de taille, la réforme qui en découle l’est
tout autant !
Notre économie dispose d’une pensée sur le marché,
mais n’a pas de pensée de l’entreprise. En effet,
l’entreprise n’a pas d’existence propre en droit
ni en économie. Elle n’existe qu’à travers
les personnes. Soit elle se confond avec la personne physique, dans
ce cas on parle d’entreprise individuelle. Elle n’existe
donc qu’à travers son créateur et fait partie
de son patrimoine personnel. Soit elle est une personne morale,
dans ce cas elle est une société. Or le droit des
sociétés ignore le concept même d’entreprise.
D’où ce paradoxe : les salariés qui sont pourtant
les parties prenantes essentielles de l’entreprise, sont étrangères
au contrat de société. Paradoxe encore, si l’on
se tourne vers le droit du travail, ce n’est pas l’entreprise
qui passe les contrats de travail mais la société.
Cette ambiguïté a rendu possible la financiarisation
de l’entreprise qui s’est fortement développée
à partir des années 80 grâce à la libéralisation
des marchés financiers et à leur globalisation. Cette
transformation de la propriété économique qui
s’est tournée progressivement vers l’actionnariat,
a modifié la gouvernance de la grande entreprise dans laquelle
les intérêts des actionnaires priment sur ceux des
salariés. Elle a aussi modifié son mode de direction,
en faisant des dirigeants de simples mandataires des actionnaires.
Ces gestionnaires sont désormais contraints de valoriser
les actifs financiers avant les actifs productifs, ce qui ralentit
les investissements et l’innovation, et donc freine la croissance
et l’emploi dans notre économie.
La relation entre l’investissement et la finance s’étant
inversée. Des investissements sont abandonnés, non
parce qu’ils ne sont pas rentables mais parce qu’ils
ne sont pas suffisamment rentables pour les actionnaires. En introduisant
ainsi les mécanismes de marché dans l’entreprise,
cette financiarisation réduit peu à peu ses finalités
économiques, sociales et environnementales à la seule
maximisation du profit à court terme.
De plus, cette introduction a modifié les liens de coordination
dans les entreprises, car dans la logique de la financiarisation,
la gestion de la grande entreprise ne reconnait que les individus
et non les personnes. A la différence de l’individu,
la personne ne peut pas être dissociée des relations
qu’elle crée. En dissociant ainsi l’individu
de la personne, ces modes de gestion réduisent l’intelligence
collective de l’entreprise et transforment son ciment social
en une somme d’individus. En privilégiant ainsi davantage
l’individu plutôt que la personne, le travail ne devient
plus qu’une variable d’ajustement. Dès lors,
il est plus facile pour l’entreprise soucieuse de sa flexibilité,
de se séparer des individus que des personnes. Il est aussi
plus facile pour elle, de réduire le coût du travail
afin d’améliorer la compétitivité plutôt
que de valoriser la connaissance.
Dans ce contexte, le choix d’une politique de l’offre
centrée sur l’entreprise ne peut réussir à
rétablir la croissance et à créer des emplois
durables qu’à la condition que soit mise en oeuvre
une réforme structurelle de celle-ci et plus particulièrement
de la grande entreprise. Or si l’on veut faire de l’entreprise
le moteur de la croissance et de l’emploi, l’Etat doit
être l’initiateur d’une nouvelle conception de
l’entreprise reposant sur trois rouages.
Le premier est celui de la production. L’entreprise doit
redevenir le lieu où l’on produit la richesse économique.
Cette fonction principale doit pouvoir s’exercer à
travers ses finalités économiques, sociales et environnementales,
à partir desquelles les dirigeants sélectionnent les
moyens de financement en fonction des investissements et non l’inverse.
Ce renversement de la relation entre l’investissement et la
finance nécessite une séparation stricte entre les
actionnaires-investisseurs et les actionnaires-spéculateurs
où seuls les premiers ayant contribué à la
production percevraient les dividendes.
Le second est celui de la répartition de la richesse. La
distribution des revenus entre le travail et le capital ne doit
plus être une répartition conflictuelle dans laquelle
l’un doit affaiblir l’autre pour se développer.
Il faut bien au contraire, réconcilier l’économique
et le social par une nouvelle approche du travail qui doit être
appréhendé comme une ressource et non plus comme un
coût. La valeur travail doit donc reposer sur la reconnaissance
des compétences des salariés. Ce compromis ne pourrait
se faire que par l’institutionnalisation d’un dialogue
social fondé sur un équilibre entre ces deux facteurs
de production.
Et le troisième rouage est le rouage territorial. Afin de
pouvoir exercer son rôle d’acteur économique
principal, l’entreprise doit ancrer ses activités sur
le territoire grâce à un regroupement sur le même
territoire d’un réseau de compétences associant
des entreprises, des écoles, des universités, des
laboratoires de recherche et des services publics participant mutuellement
à son essor. Ce lien territorial dissuaderait ainsi les délocalisations.
L’engrenage de ces trois rouages devrait faire naître
une nouvelle gouvernance en s’inspirant des sociétés
coopératives et tracer les perspectives d’une institutionnalisation
de l’entreprise au service de l’économie ! Or
tant que la baisse des cotisations patronales, la réduction
du coût du travail et celle de la fiscalité ou encore
la flexibilité du marché du travail seront proposées
comme seules solutions, la relance de l’offre sans refondation
de l’entreprise, n’aura que peu d’effets durables
sur la croissance et l’emploi.
Gérard Fonouni
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