Economie2000

" Dans quelle mesure peut-on dire que la politique de désinflation a exercé une influence néfaste sur l'emploi ?"

Introduction:

La décision du président Nixon, en 1971, de rendre le dollar inconvertible, et l'abandon du système monétaire international issu des  accords de Bretton Woods, ont formé le socle d'une logique mondiale de la compétitivité entre nations.
 En effet, la signature des accords de la Jamaïque en 1976 consacre la fin du système de changes fixes. J.P.Fitoussi observe que le monde passe alors d'une logique de croissance des échanges internationaux, à une logique de parts de marchés, où ce qui est gagné par un pays est perdu par un autre.
     Dès lors, la compétitivité entre nations ne peut plus être analysée en termes d'avantages comparatifs, mais en termes de coûts de production et de performances commerciales. Or, le choc d'offre que représente la hausse du coût du pétrole brut en 1973, et le deuxième choc pétrolier de 1979, imposent aux pays Européens la création  d'un  système  de  taux de  changes  fixes à marges de fluctuations de plus ou moins 2,25% : cela devait permettre la stabilité de la monnaie, par réhabilitation de la crédibilité des marchés financiers.
   Cependant, dans une période de récession mondiale, la France est contrainte de  dévaluer  par trois  fois sa  monnaie  ( Oct  81-mars  83 ).  Ainsi,  l'objectif prioritaire de vient la lutte contre l'inflation, responsable de la dépréciation de la monnaie. Dès 1983, le gouvernement met en place une  politique  de désinflation compétitive, considérée  comme  une stratégie  gagnante, et basée sur quatre types d'actions : une politique monétaire restrictive, une augmentation des taux d'intérêt, un assainissement des dépenses publiques, et une politique de dérèglementation. L'objectif de baisse de tendance inflationniste est réalisé car, fortes de la règle de Tinbergen, les autorités se sont dotées d'autant de dispositifs actifs que d'objectifs intermédiaires à atteindre.

    Cependant, 1993 est marquée, sur le plan Européen, par l'élargissement des marges de fluctuations des monnaies à + ou - 15 % et, pour la France, par une chute du taux de croissance du PIB de -1,3 %. De plus, le  début  de la reprise de 1995  ne  se  transforme  pas en création nette d'emplois, et  si le niveau de l'emploi est maintenu avec un taux de croissance   inférieur à 2%, le  chômage ne recule toujours pas.
   Pourtant, l'inflation est vaincue, le solde de la balance commerciale est excédentaire, et les entreprises conjuguent compétitivité prix et hors-prix.
   Dans ce contexte de dynamiques  contradictoires  et inédites,  on  peut donc avancer que la désinflation compétitive a, certes, initié un coût social de transition très lourd et imprévu pour la collectivité, mais que c'est une dynamique déflationniste  qui  expliquerait la pérennité d'un chômage devenu plus structurel.

    On  développera,  dans  une  première  partie, les  effets  d'une  politique de désinflation compétitive sur l'emploi, et dans une deuxième partie, l'hypothèse d'une mutation de la désinflation en déflation.
 

 I/ La désinflation compétitive a  atteint son objectif de stabilité des prix, mais au prix d'un coût  social de transition très lourd.

     L'efficacité  des  politiques  keynésiennes mises en place durant les années 45-73, a  laissé  la place à des politiques inspirées  par  l'école de  Chicago. A partir des années 80, M . Friedman  préconise  ainsi un  strict contrôle de la masse monétaire et critique les politiques budgétaires dynamisant la demande. Le niveau de l'emploi n'étant pas un critère de convergence  dans le traité de Maastricht, les pays de l'Union économique  ont  donc  déployé une "Policy- mix" particulière : Austérité budgétaire et politique monétaire restrictive.
       Cette approche  globale  de l'économie, couplée à des comportements micro- économiques, explique la relation entre le chômage et la désinflation compétitive.

  1/ Une approche macro-économique de la compétitivité :

     La politique du franc fort est initiée par la création du SME en 1979. Le second choc pétrolier pèse alors sur les coûts de production des entreprises, déjà affectées depuis six ans par une baisse de leur compétitivité-prix.

Durant  l'été  79, le taux  d'inflation  se positionne à  14,5 %, et  les attaques répétées sur le franc contraignent les autorités à une triple dévaluation, entre oct 81 et mars 83.
    "Cette dévaluation est une stratégie perdante"  ( M.TRICHET) :  elle  est d'abord non-coopé rative dans une Europe en construction. Ensuite, le délai d'ajustement de type "courbe  en  J"  ne permet pas l'effet rééquilibrant sur la balance des transactions courantes. Enfin, la crédibilité des autorités est remise en cause.
    Ce changement de cap de 1983  est  donc  subi  et  non  voulu. L'objectif devient la lutte contre l'inflation et le maintien de la stabilité de la monnaie. Cette dernière sera obtenue par un ancrage du franc au mark, une monnaie forte étant celle qui s'apprécie sur le marché des changes et qui est sollicitée pour sa fonction d'instrument des échanges.
    En mettant en œuvre simultanément une  désindexation  des salaires, une hausse des  taux d'intérêt réels courts, un  assainissement  budgétaire et une politique monétaire restrictive (crédit, gestion de M3), les autorités permettent une  reprise de l'activité économique  entre  85  et   89. Certes, le contre-choc pétrolier de 85, la baisse du dollar et le potentiel de l'acte unique européen de 86  réhabilitent une certaine  confiance des marchés. Mais  déjà,  la  première crise Mexicaine de 84 et la crise boursière de 87 laissent présager une "lame de fond" dont on mesure bien l'impact aujourd'hui.
     La globalisation des marchés financiers, le décloisonnement et la désintermédiation contraignent  les décisions  nationales. Les  marchés  obligataires craignent toujours une reprise de l'inflation, et incorporent aux taux d'investissement à long terme une prime de risque, qui alourdit le service de la dette, et met en péril l'assainissement des dépenses publiques. L'incertitude et les anticipations pessimistes des agents engageront la crise du SME de 1993, qui se solde par l'élargissement à + ou - 15% des marges de fluctuation.
   Une approche micro-économique permettra d'expliquer la sédimentation de la croissance molle, malgré l'indéniable réussite de la désinflation compétitive.

  2/ Une  approche  micro-économique : le choix des entreprises en matière de partage de la valeur ajoutée et l'attentisme des ménages.

    La nouvelle micro-économie classique a présenté plusieurs explications au dérèglement du marché du travail. L'idée générale est d'analyser les rigidités des  salaires  nominaux  à la  baisse :  au  sein  d'un marché  de  concurrence parfaite auto-régulateur, les dysfonctionnements dans la confrontation offre- demande du travail ne peuvent être issus que de comportements hors norme des agents. Ainsi, Muth avance l'idée des anticipations rationnelles des agents économiques:  le  manque  d'informations  de  ces  derniers  et  l'absence  de signaux clairs du système de prix peuvent être la cause d'un dérèglement de court terme.
 

   Du côté de l'offre, le comportement des entreprises en matière de partage de la  valeur ajoutée peut expliquer la langueur de l'activité. En effet, la reprise de l'investissement de 85-89 aurait dû enclencher un multiplicateur générateur d'emplois et dynamisant la  demande  globale.  Mais  les  taux d'intérêt réels courts étaient encore à 6-7%, avec une croissance de 3-4% : la règle d'or de Phelps/Solow n'étant pas respectée, les entreprises et les ménages privilégiè- rent l'attentisme, pour les uns sous forme de déstockage, pour les autres sous forme d'épargne de précaution au détriment de la consommation.
    Ainsi, le  retournement  de  conjoncture positif de 95 aurait-il dû engager durablement la reprise. Mais si l'incitation à investir et à consommer n'a pas été à la hauteur du  potentiel  de  l'activité économique, la raison en est peut- être un sentiment diffus de méfiance à l'égard du futur, de manque de crédibilité et de la peur engendrée par la fracture sociale. On peut avoir  l'intuition d'une tension déflationniste, certains avancent même le spectre des années 20-30.
 

II/ De la désinflation à la déflation.

           La mise en œuvre conjointe d'une politique monétaire et budgétaire restrictives inhibe durablement le processus de croissance et engendre un chômage structurel. Curieusement, l'absence d'un 6e critère de convergence des critères de Maastricht a focalisé les gouvernements sur les performances économiques.
    On a ainsi développé l'idée d'une nouvelle validité de la courbe de Phillips qui, dans sa première version, corrélait négativement l'évolution du salaire nominal et celle du taux de chômage. La lutte contre l'inflation et la baisse du taux de chômage  sont-elles, aujourd'hui  encore, deux  démarches antinomiques?  En  d'autres  termes, dix ans de désinflation compétitive, basés sur la pensée de l'école Monétariste, n'ont-ils pas évincé trop longuement les fondements de la pensée Keynésienne, à savoir l'étude de l'incertitude et des anticipations ?

    1/ La désinflation, maintenue "coûte que coûte", dérive vers une déflation.

          Les observateurs de la conjoncture économique que sont PA.Muet, D.Taddei et JP.Fitoussi s'accordent sur le niveau encore trop élevé des taux d'intérêt à court terme. De fait, les taux longs s'établissent sur les marchés financiers par anticipation des taux courts futurs. Le cycle de  crédit  stagne  dans sa phase récessive car les entreprises se désendettent. Le partage  de  la valeur ajoutée entre les profits et  les  salaires  s'effectue au détriment  des  seconds,  ce qui alimente  la  méfiance  des  ménages qui, à leur tour, ne peuvent anticiper de reprise de la demande.
         Mais il s'agit de raisonner  en  terme  de  demande globale : En effet, si la croissance des  exportations  a  permis  de dégager une balance commerciale excédentaire durant ces dernières années,  les  autres  composantes que sont l'investissement public,  l'investissement privé, et la  demande  des  ménages restent à un niveau qui ne peut pas relancer durablement l'activité.
    Les taux d'intérêt étant supérieurs au taux de croissance du PIB, un mécanisme cumulatif accroît le coût du service de la dette. La solution consiste à dégager  un  excédent  du solde  primaire  du  budget  et à baisser  les taux d'intérêt. Mais les données sur lesquelles se basent les opérateurs financiers sont sous-évaluées : En effet, les gains de productivité du secteur tertiaire, qui emploie  66 %  de la population active Française, ne sont pas pris en compte, ni dans le PIB, ni   dans la  balance des invisibles.  De plus,  la  concurrence Européenne interne croît, exerçant une pression à la baisse des prix.
    Enfin, faute d'avoir maintenu, depuis quinze ans, leurs efforts en matière de RD et d'innovation, les entreprises Françaises de Haute technologie préservent leurs parts de marché en privilégiant la compétitivité-prix, par une tension sur les salaires et sur les prix.
    Ces réflexions pourront conduire au constat d'une situation déflationniste, avec pour conséquences le report des décisions d'investissement, de consommation et  de dépenses  publiques  structurelles,  risquant alors d'engager le système dans une dépression. Mais cette analyse mérite d'être nuancée car les niveaux  de  tension  observés  entre  deux guerres  avaient  une densité  qui n'apparaît pas dans le comportement des agents, et la réalité de l'UEM commence à jouer un rôle moteur dans la prise de risque des entreprises et des ménages.
    Enfin, des  politiques  mieux  coordonnées des acteurs de l'OMC pourraient parvenir à réajuster les niveaux de revenus des pays exportateurs.

  2/ La politique de désinflation compétitive n'est plus responsable, aujourd'hui, du chômage en France.

     Toute stratégie doit aujourd'hui  éviter  la  sédimentation  de la déflation naissante. Pour cela, le modèle américain semble pouvoir offrir un panel de solutions puisque, tous indicateurs confondus, on observe une réussite dans la performance de la première grande puissance économique mondiale.
    Mais l'Europe manque, entre autres, de  deux  atouts majeurs pour prétendre imiter le modèle américain : d'une part, la barrière de la langue n'autorise pas de forte mobilité du travail, facteur  clé  d'une  réussite à  l'échelle d'une région du monde. D'autre part, parce que le salaire est, outre-Atlantique, une véritable variable  d'ajustement  conjoncturel, ce que la  rigidité des salaires n'autorise pas en Europe.
    L'Europe sociale, c'est-à-dire la coopération, la concertation et la coordination des politiques visant à résorber le chômage devrait, au sein de l'UEM, permettre une meilleure régulation de l'activité économique.
      Les délais d'ajustement sont sans doute la contre-partie de l'organisation de l'Europe, dont il convient de rappeler qu'elle sera, des trois régions de la "Triade", la plus peuplée, la plus diversifiée et celle qui aura, peut-être,  la monnaie la plus forte.

Conclusion

        Contrairement aux présupposés de l'analyse standard du commerce international, (Théorème d'HOS), les échanges entre pays européens sont majoritairement intra-branche (Thèse de la similarité). Dans le cadre d'une économie régionale fortement intégrée, la désinflation compétitive, en tant que  politique  visant  à  combattre  l'inflation  pour  restaurer  la compétitivité-prix, n'a plus d'objet aujourd'hui.
    En revanche, c'est par la différenciation  des  produits,  la  spécialisation  dans  les  secteurs à forte productivité  que  les  pays  européens  pourront  gagner  la  lutte  contre  le chômage.    Ainsi, les théoriciens de la croissance endogène (Lucas, Barro, Romer, Becker) préconisent-ils une réhabilitation du rôle de l'Etat en tant qu'impulseur de croissance. En fait, les investissements d'avenir qui stimulent l'éducation, la RD, l'apprentissage par l'expérience (Haghion et Howitt, Helpman et Grossman), ont une double qualité : ils sont accumulables mais non-inflationnistes, et leurs rendements de long terme sont constants.

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